Interview

Livre "OPETH - DAMNATION & DELIVRANCE" (2013 - Ed. Camion Blanc) - Nicolas Bénard

Comme on le dit, il ne faut pas rester sur ses acquis ! Aussi, à la sortie du livre "OPETH - DAMNATION & DELIVRANCE" chez Camion Blanc, je me plonge dans la lecture de ce livre décriptant l'histoire du groupe, et en profite pour avoir un entretient avec Nicolas Bénard, en charge de la première partie / analyse du livre.
Une première pour le webzine avec cet entretient pour un livre.

Bonjour Nicolas. Tout d’abord merci de prendre le temps de répondre à nos questions.
D’où t’es venue l’idée de faire ce livre sur Opeth ?


De Robert ! Il m’a contacté il y a 3 ou 4 ans pour me parler de ce projet d’ouvrage et pour me proposer de m’occuper de l’aspect biographique. Je lui ai expliqué que j’étais intéressé, mais que je ne voulais pas rédiger une biographie traditionnelle. J’ai travaillé selon la méthodologie propre à l’histoire culturelle, à savoir l’étude de la production (sauf le discours et l’imaginaire, réservés à Robert), de la diffusion et de la réception de la musique d’Opeth. C’est pour cela que je préfère parler de monographie, c’est-à-dire d’une étude exhaustive sur le groupe, plutôt que de biographie.

Combien de temps t’a-t-il fallu pour écrire ‘ta partie’ pour ce livre. Je veux dire par là, entre le travail de recherche d’informations dans la presse, tu as du être bien occupé !

J’ai la chance d’avoir réalisé un certain nombre d’études universitaires et autres, donc je suis bien rôdé ! Il m’a fallu quelques mois pour compiler mes sources, encore quelques mois pour les analyser, concevoir un plan puis rédiger. Je dirais que l’ensemble m’a pris un an ½, entre 2010 et fin 2011. Mais je suis loin de ne m’être consacré qu’à ce projet durant cet intervalle…

Comment as-tu fonctionné pour structurer ton texte, et aussi mettre en place toutes ces références aux sites, journaux, articles trouvés ?

J’avais dans l’idée de partir sur la structure mentionnée plus haut, c’est-à-dire étudier les aspects liés à la composition, à l’enregistrement (production), puis analyser le processus de diffusion et de réception. Au fur et à mesure de l’étude des documents, j’ai fait évoluer la structure de mon plan. Concernant toutes ces références, cela demande énormément de rigueur pour ne pas se perdre mais, encore une fois, j’ai l’habitude d’un tel travail.

Il y a beaucoup de références sur les performances scéniques du groupe, mais les as-tu déjà vus sur scène ?

Oui, je dirais 4 ou 5 fois entre 2001 et 2007. J’ai ainsi pu voir le groupe évoluer en termes de performance scénique. J’ai aussi bien sûr visionné un grand nombre de prestations filmées, validées par le groupe ou « pirates » (merci Yout*** !)

Vous avez nommé le livre ‘Damnation et Délivrance’ issus de deux albums du groupe. Pourquoi ce choix ? Est-ce de manière à garder cet aspect sombre et noir qu’est le metal, d’un point de vue des mass medias ? « Héritage » aurait pu aussi être utilisé dans le sens où c’est ce que tu montres dans cette analyse.

En effet, mais le titre était trouvé bien avant la sortie de l’album Heritage, et il nous a semblé plus intéressant de s’appuyer sur la dualité qui s’associe à la musique d’Opeth depuis ses débuts : voix extrême / voix calme ; passages brutaux / moment presque atmosphériques, etc. Je trouve aussi que cette association d’idées renvoie à l’histoire même du groupe qui était bien mal parti à ses débuts et qui a dû attendre 4 ou 5 disques pour connaître une sorte de seconde vie, voire de résurrection. Un succès si tardif est quand même rare. Pour revenir à Heritage, nous ne sommes pas des amateurs de ce disque, Robert et moi, et puis je trouve dommage de résumer le groupe à un album qui est un (fade) retour vers le passé, alors que le reste de sa discographie est une ode à l’évolution, au progrès…

Tu parles à un moment de, et je cite, « attitude Rockstar » ? Qu’est-ce que cela signifie t-il pour toi ? Est-ce, a ton avis négatif ou positif ?

Question intéressante sur laquelle je travaille actuellement. Je crois que, pendant plusieurs décennies, disons du début des années 1980 à la fin des années 1990, il existait une forme de statut de rockstar dans la musique hard rock / métal, mais que ce statut a fini par être désacralisé, en grande partie grâce au concours de la presse. Les artistes ont mûri, voire vieilli, le public aussi, et l’aura sacrée qui accompagnait les plus grands s’est progressivement délitée. Ajoutons à cela que les artistes eux-mêmes ont saccagé le piédestal sur lesquels ils avaient été installés (Ozzy et son émission de télé réalité, le docu psychanalytique de Metallica, l’arlésienne Guns N’ Roses, etc.) Pour revenir à la question, je ne juge pas l’attitude des artistes, je relève simplement que les musiciens d’Opeth, en dépit d’une notoriété certaine, se comportent bien plus modestement que d’autres moins célèbres…

Tu parles aussi de cet « univers metal qui vénère subversion, simulacre, jeu des apparences ». C’est quand même rentrer dans les clichés des mass médias. Le but n’est-il pas justement d’enlever cet aspect extrême et satanique ou malsain comme le présente justement ces mass médias ?

Mais la musique métal est pleine de clichés ! Là encore, je n’émets pas de jugement. Je constate simplement que certains artistes métal aiment se cacher derrière des masques (au sens propre comme au figuré : Lordi, Slipknot, Ghost, certains musiciens de BM qui jouent maquillés voire cachés, etc.), qu’ils apprécient aussi de jouer avec des symboles que l’imaginaire collectif (pas le mien !) associe à de la subversion, de la violence voire de la haine. Il faut bien sûr analyser tout cela en profondeur, ce que j’ai fait dans d’autres ouvrages, ce que Robert fait dans celui-ci.

D’ailleurs, comme tu le montre avec ton analyse, le groupe est maintenant devenu quelque chose de quasiment sacré, avec d’innombrables références religieuses. Ca s’oppose bien à cette vision noire que les personnes qui ne connaissent pas ce style musical peuvent avoir de par la présentation qui leur ait faite quasi-quotidiennement ?!

Tous ceux qui vont au-delà de ce que j’appelle le « discours médiatique linéaire » savent que le métal est un univers bien plus complexe que celui qui nous est régulièrement dépeint. Richesse instrumentale et stylistique, diversité des thème lyriques, quête quasi obsessionnelle de l’évolution et du progrès : ce genre musical possède un certain nombre d’atouts qui devraient en faire un courant reconnu en France. Mais il est toujours plus facile pour les journalistes profanes (ou quelques politiques peu scrupuleux) de jouer avec des symboles et des théories fumeuses que de décrypter un phénomène complexe. C’est pour cela que le travail des universitaires, comme celui des acteurs et activistes du « milieu » (médias spécialisés, organisateurs d’événements, etc.), est nécessaire pour aller au-delà des stéréotypes régulièrement véhiculés.

Tu soulèves un autre point intéressant en parlant du « statut précaire de l’artiste metal », car « Malgré des ventes de disques plus qu’honorables, une notoriété établie [..] la stabilité professionnelle fût loin d’être acquise. » Comme quoi, les apparences médiatiques peuvent être trompeuses, mais cela peut aussi mettre en avant le déclin du marché du disque.

Opeth n’a pas eu de chance à ce niveau puisque le groupe a gagné en popularité au moment même où les ventes de disques, d’une manière générale, commençaient à décliner. Mais heureusement pour lui, son statut d’artiste établi et le réseau de fans qui lui étaient déjà dévoués ont permis au groupe de s’installer, pour tenter une comparaison avec le monde du football et sans aucune connotation péjorative, au haut de la deuxième division, c’est-à-dire derrière les grosses machines (Metallica, Iron Maiden, Scorpions, Kiss, etc.), dans le peloton des formations qui ne sont certes pas dans « l’élite », mais qui jouissent néanmoins d’un statut professionnel. En d’autres termes, qui vivent de leur musique.

Si tu devais faire un autre livre, dans la même lignée que celui-ci, quel groupe choisirais-tu ?

Robert et moi travaillons actuellement sur un projet similaire concernant Katatonia. Il y a quelques similitudes avec Opeth, même si Katatonia n’a pas obtenu le même succès commercial. C’est intéressant, je crois, d’étudier le parcours d’un artiste qui a beaucoup évolué d’un point de vue stylistique, qui n’a jamais vendu beaucoup de disques, mais dont la survie n’est pas menacée en raison une fois encore d’un support médiatique sans failles, d’un socle de fans fidèles et d’une sorte d’aura « mythique » qui accompagne le groupe. Plus tard, j’aimerais me pencher sur Orphaned Land dont le parcours et le discours se démarquent beaucoup de ceux des artistes métal disons plus « traditionnels ».

Une dernière question. L’autre écrivain du livre a été prêtre du diocèse d’Avignon et est maintenant aumônier de la Communauté catholique francophone de Copenhague. Le décalage religieux et cette musique qualifiée de ‘satanique’ par les mass medias et certains pratiquants est là. Que penses-tu de son approche dans la description des œuvres du groupe ?

Elle est excellente ! Robert a proposé une analyse certes subjective, il ne prétend jamais affirmer la vérité, mais extrêmement rigoureuse de l’imaginaire d’Opeth, en faisant appel à des références autant religieuses que profanes. Son travail permet de défricher le terrain pour d’autres études similaires. Celles-ci devront aller au-delà des clichés, des stéréotypes, pour analyser méthodiquement l’imaginaire des artistes, leurs sources d’inspiration, les représentations qui diffusent, et ce, pour mieux connaître l’image qu’ils se font de la société dans laquelle ils évoluent.

Merci encore !

Merci à toi pour l’originalité de ces questions !


 
Critique : Lionel
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