Chronique

LAKE OF TEARS - OMINOUS / AFM Records 2021

Le groupe suédois Lake of Tears annonce la couleur, noire, avec éventuellement quelques touches de gris foncé et de bleu sombre, avec son neuvième album studio, Ominous, pour un retour sur la scène du metal gothique et doom après 10 ans de silence. C’est un album très particulier puisqu’en juin 2020, Daniel Brennare, le chanteur et seul membre permanent depuis la création du groupe en 1994, avait annoncé publiquement qu’il avait été diagnostiqué atteint de leucémie chronique, ce qui avait joué sur la noirceur de l’album précédent Illwill et déterminé le choix du titre Ominous pour l’album suivant, enraciné dans la maladie et la dépression. Il porte tout l’album sur ses épaules puisque c’est lui que l’on entend au chant, à la guitare, aux claviers, et qui a produit Ominous (est-ce encore un album de Lake of Tears d’ailleurs ?) : difficile de faire plus personnel.

Le premier des 9 titres, At the Destination, est rythmé et groovy, tout en dégageant une atmosphère spatiale sombre et pesante. Les accords électroniques se mêlent au piano mélancolique, certaines envolées dramatiques convoquent à la fois la musique classique, la new wave et le post punk. Le violoncelle vers la fin du morceau est une merveilleuse surprise qui apporte beaucoup de grâce et de légèreté à une chanson déjà subtile. L’enchaînement vers In Wait and Worries est très fluide, titre qui a des allures de bande son de film ou de jeu vidéo, et qui génère facilement de nombreuses images mentales. La voix de Daniel Brennare est touchante et expressive, quelque part entre David Bowie et Marko Hietala, avec un grain émouvant. La chanson pourrait sembler répétitive par sa structure circulaire initiale, mais elle me fait l’effet d’une traversée nocturne sur un lac immobile, par ses airs solennels et apaisants. Les voix discrètes en écho ainsi que celles grésillant dans ce qui semble être un talkie-walkie, dans un échange impossible, constituent un fil rouge au long de l’album. La fin de la chanson montant en puissance avant de s’éteindre prend à la gorge, j’aime beaucoup l’interprétation du chanteur, pleine de vulnérabilité et de rage à la fois. Le troisième titre est Lost in a Moment, avec une entrée en matière splendidement sombre et majestueuse, où la batterie et la guitare sont à l’honneur. Clin d’œil à Bowie avec un petit « Put your helmet on », pour une atmosphère pourtant bien éloignée de « Space Odyssey », plus proche d’une épopée lovecraftienne, dont le rythme martelé et tribal laisse imaginer qu’un sacrifice en l’honneur d’une divinité terrible est proche.

Ominous One dégage une ambiance plus pêchue et dynamique, plus heavy, mais le passage d’un titre à l’autre se fait pourtant d’une façon parfaitement harmonieuse, que j’ai à peine remarqué. Les paroles fatalistes contrastent avec un chant plus tonique, les chœurs caverneux et lents à la Peter Steele s’accordent très bien avec les intonations hard rock de Brennare. Les genres se rejoignent à merveille dans la création de chansons personnelles, sans que rien ne soit jamais en trop ou ridicule, ce sur quoi bien des groupes se cassent les dents ! C’est riche et varié, libre dans la composition. Ominous Too est plus doux et mélancolique, avec des accords de violoncelle bienvenus, bien intégrés même aux passages plus énervés. One without Dream allie des accords jazzy, un parlé-chanté torturé, un refrain dramatique et étonnamment groovy à la fois, des petits ponts prog planants et des riffs doom et même parfois stoner à la My Sleeping Karma.

Le début de The End of this World (peut-être représentatif de l’annonce d’un diagnostic ?) me donne l’impression de passer une IRM, grésillement qui est progressivement supplanté par un rythme cardiaque à la batterie, s’amplifiant en intensité et rapidité, quelque chose de très organique et intime. Le morceau ralentit ensuite et semble s’engluer dans une atmosphère mentale de cauchemars, une mer tourmentée qui veut nous submerger, devenant de plus en plus pesante et irrévocable. Un chef-

d’œuvre de morceau instrumental. Cosmic Sailor démarre dans la lenteur et la tension, et déploie une ballade déchirante et maussade, grise et pluvieuse. Les accords de guitare lumineux apportent une éclaircie dans l’atmosphère tempêtueuse du ciel chargé de cette complainte. Aux trois quarts du titre un étrange effet de persistance sonore à la limite des acouphènes vient totalement changer l’ambiance du titre, avec ensuite l’introduction de coups en écho, agrémentés de percussions évoquant un décompte. J’aime beaucoup l’impression de chansons gigognes qui se dégage des titres polymorphes de cet album plein de surprises. Et justement Ominous surprend encore avec une dernière chanson proche de la country et du bluegrass, sur laquelle la voix de conteur de Brennare est chaude et rauque, le rythme chaloupé, et la guitare folk douce-amère. Une sortie mélancolique à souhait, brute et sans artifices, dont l’air et la tristesse assumée planent encore un bon moment après l’écoute.

Ominous est un album qui m’a surprise, séduite, donné la chair de poule, émue, prise au dépourvu, et qui s’écoute aussi bien d’une traite que titre par titre. Il n’y a pas une note de trop, il est incroyablement juste, une vraie perle de sensibilité et de talent.
 
Critique : Elise Diederich
Note : 10/10
Site du groupe : Page Facebook du groupe
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