Interview

ARKAN (2020) - Groupe complet

Arkan depuis ses débuts en 2005 s'est imposé comme l'un des tous meilleurs groupes de metal oriental. On attendait avec une certaine impatience la sortie de leur nouvel album « Lila H ». Celui-ci ne déçoit pas et montre un groupe au sommet de son art. Il est aussi un disque important car il revient avec une grande intelligence sur la décennie noire qui a déchiré l'Algérie. Entretien.

« Lorsqu'Arkan s'est crée en 2005 le but était de faire un groupe de death avec des influences orientales ? »


« Tout à fait. A la base, nous avions l'idée de faire venir des musiciens selon nos différents projets, musiciens qui viendraient et repartiraient. A partir du premier album, les choses se sont vraiment construites. La musique orientale était dans le process depuis le début. »

« Vous étiez des précurseurs dans le metal-oriental. »

« Dans notre style on l'était, effectivement. On s'était inspiré de Orphaned Land ou de groupes comme Septicflesh ou Moonspell. »

« Vous trouvez qu'il y a un côté grec chez Septicflesh et portuguais chez Moonspell ? »

« Il y avait en tout cas un côté exotique chez ces groupes. Dans le chant ou les compos, on trouvait un truc propre au Portugal chez Moonspell. Idem pour Septicflesh. »

« Vous jouez sur des instruments orientaux. »

« Oui, nous utilisons le oud, le mandole algérien, le tabla, des percus. Ces instruments donnent une certaine coloration aux morceaux. »

« Comment faites-vous pour les intégrer à un metal aussi puissant ? »

« On prend le meilleur mixeur qui soit (rires). »

« Certains membres du groupe étaient dans un groupe metal en Algérie. »

« C'était du metal-prog avec du chant heavy metal. On faisait des reprises mais également des compos originales. Le groupe, qui s'appellait Worth a duré de 1999 à 2003. »

« Cet album est un concept-album sur la décennie noire ? »

« Exactement. Tout ce que l'on raconte est basé à partir d'anectodes que nous avons vécues là-bas. Le disque est comme un devoir de mémoire. Ados en Algérie, nous savions que des choses pas normales se passaient mais sans tout comprendre. On a fait cet album pour que ce genre d'événement ne se reproduise plus. On a vu ces événements arriver dans les pays arabes et même ensuite dans les pays occidentaux avec la montée du fondamentalisme. »

« C'était compliqué de faire un groupe metal en Algérie ? »

« Beaucoup moins que cela ne pouvait l'être au Maroc ou en Egypte. En même temps, le premier concert que l'on devait faire était dans notre lycée et l'ingé son a été tué par les islamistes. »

« Le premier single « My Son » parle d'un père qui parle à son fils de ces événements ? »

« C'est cela. Les paroles évoquent ces moments où mon père me disait que la situation était grave. Il me disait s'il y a un problème tu cours à la maison, tu t'enfermes et te barricades. Je me souviens être à l'école et devoir courir entre les balles. Un jour mon père avait un choix cornélien entre aller me chercher ou aller chercher ma soeur. Un ami à lui est venu me prendre à l'école. C'était cela notre quotidien. Le morceau est aussi un hommage aux parents. »

« Le clip est un collage d'images d'archives ? »

« Oui. Elles sont travaillées par ordre chronologique. Cela commence par des images du 5 Octobre 1988, date à laquelle les jeunes sont sortis dans la rue pour réclamer le multipartisme. Cela a été un jour de fête. Il s'est passé ce jour-là ce qui s'est passé plus tard avec les différentes révolutions arabes. Mais c'est aussi à partir de là qu'est né le parti islamiste. L'expérience que nous avons vécue a servi par la suite aux pays voisins notamment à la Tunisie.»

« Il y a chez vous un côté mélancolique très fort. C'est liée à cette histoire forte que vous racontez ? »

« C'est indéniable. Ce côté mélancolique permet de voyager, de donner de l'émotion. On veut surprendre l'auditeur. C'est pour cela que plusieurs écoutes sont nécessaires pour cet album. Nous racontons des histoires. Celles-ci ne sont pas linéaires. C'est pour cela qu'il y a des moments brutaux et d'autres calme dans nos morceaux. »

« Il y a à la fin un titre en quatre parties. »

« Comme sur tous nos albums. « Lila H » sur celui-ci raconte une histoire. C'est un titre prog de douze minutes découpé en quatre parties. »

« Il y avait une chanteuse dans le passé pour les parties mélodiques. Comment assurez-vous ces parties vocales aujourd'hui ? »

« Celle-ci est partie pour se consacrer à son métier de comédienne. Elle était comme un membre de la famille. Nous sommes toujours proches, d'ailleurs. Elle vient de tourner plusieurs films en Algérie. L'opportunité d'intégrer Manu dans l'aventure s'est faite de manière spontanée et c'est lui qui assure ces parties vocales. »

« Le dernier album date d'il y a quatre ans. Celui-ci a mis longtemps avant de sortir. »

« On sort en général un disque tous les trois ans. On pourrait en sortir plus souvent mais ce ne serait pas aussi qualititatif. L'album était prêt en 2018 mais on a voulu faire les choses de la meilleure des façons possibles pour sa sortie. »

« Vous aviez sorti plusieurs albums chez Season of Mist. Pourquoi en être parti ? »

« On sort cet album en indépendant. On voulait maitriser chaque chainon du processus de création et de fabrication. On estime qu' avec notre expérience, on pouvait faire les choses par nous mêmes. On a sorti plusieurs albums chez Season of Mist et c'était la fin d'un cycle. On a voulu quelque chose d'un peu différent. »

« Vous sonnez plus dur que la plupart des groupes metal orientaux. Je pense à Myrath notamment même si j'aime beaucoup ce groupe. »

« Nous aussi nous aimons beaucoup Myrath. Ce sont des potes. Ce n'est pas le même style. Il y a un petit côté hard-rock chez eux. Ce sont des approches différentes. Le message de Myrath est celui d'une musique festive. C'est génial ce qu'ils font. »

« Vous vous considèrez comme un groupe death ? »

« On se considère metal. Il y a du death, du heavy chez nous. On ne peut pas être catalogué sur un seul style. On ne se pose plus cette question. On peut dire que nous sommes metal progressif car c'est suffisamment large pour englober pas mal de choses.»

« Avec la crise sanitaire actuelle vous allez donner des concerts ? »

« On ne ferme aucune porte. On ne sait pas. On espère que ça se tassera au premier semestre 2021. Il y avait des tournées prévues qui ont été suspendues. »
 
Critique : Pierre Arnaud
Vues : 2537 fois