Chronique
(0) - SKAMHAN / Napalm Records 2020
Il arrive que l’on chronique des albums sur lesquels on n’a pas le moindre a priori, qui émergent de groupes dont l’on n’a jamais entendu parler, et c’est le cas pour moi avec SkamHan, un tout premier album du groupe danois (0), qui sort le 24 avril chez Napalm Records.
Au premier abord, je remarque la jolie pochette à tendance abstraite, entre figure christique voilée, propagations de couleurs pastel tie dye, tissu froissé, glace craquelée, cela évoque la noirceur sous la douceur, dans une composition à la fois organique et sophistiquée. C’est un artwork assez inhabituel pour du black présenté comme très sombre et terrorisant, c’est plutôt intrigant (et cela semble être le but puisque tout présente le « groupe anonyme » comme le « secret le mieux gardé du black metal progressif underground danois » (déjà avec un nom qu’on ne sait pas comment prononcer ça aide, savoir quoi taper sur un moteur de recherche pour tomber sur le groupe est assez folklorique aussi, en plus c’est un premier album donc par définition c’est encore assez condifentiel…), les musiciens n’ont que des initiales (entre parenthèses bien sûr) ; (FJ) au chant, (JU) et (MA) à la guitare, (JK) à la batterie et (MC) à la basse, bref la promotion de ce groupe, c’est le mystère. Quelque part même sans que l’on puisse s’attendre à quoi que ce soit de précis cela met déjà une pression du résultat : avec tant de détours et de volonté d’attiser la curiosité, j’espère que SkamHan est bel et bien un joyau caché qui ne demande qu’à être découvert.
Le premier des sept titres, longs pour la plupart, est Tyndere end Hund. Il a déjà un clip, de type fond d’écran mouvant reprenant l’esthétique de la pochette, avec des paroles en danois et traduits en anglais (il y a quand même une volonté d’aller vers son public pour un groupe présenté comme si impénétrable et difficile à connaître). C’est pas mal mais relativement classique pour du black, virulent, rythmé, offensif, pas de grosse surprise pour le moment, je pourrais l’écouter en fond sonore dans un bar sans que ça me fasse relever la tête. Mais tout change avec Sjaelstjaeler, et sa très longue intro répétitive et lancinante, avant l’arrivée de la voix vers 2’20. Il y a une lenteur et une lourdeur dans cette chanson, une pesanteur remarquable. Vers 3’15 puis vers la fin du titre des riffs de guitare plus psychédéliques apportent un petit twist dans l’avancée inéluctable d’un morceau très monocorde : seulement deux petites envolées qui viennent nous sortir la tête de l’eau, comme pour nous aider à progresser dans un environnement hostile, c’est une structure intéressante. Le troisième morceau, Skarntyder débute de façon plus rythmée, les accords sont plus contrastés, les growls vindicatifs et rapides ressemblent à des cris d’agonie. Les passages guitare/basse/batterie sont lugubres et puissants, et les hurlements du chanteur seul sans aucuns chœurs derrière renforce l’impression de solitude, de néant, d’atmosphère sombre et inéluctable qui se dégage du titre. Lors de certains moments d’accalmie le chant se fait encore plus douloureux et expiatoire, cet énigmatique (FJ) a une voix fort expressive.
Le quatrième morceau, Rød Glorie, est l’un des plus longs de l’album. Le début tout calme et mélancolique à la guitare et la basse, cette atmosphère minimaliste et épurée est propice à des rêveries froides, et me fait penser à des paysages désolés, ça me détend. Vient s’ajouter la voix caverneuse, vraiment bestiale avec une résonance, comme un grognement d’ours ou de loup, suivi d’un déluge de batterie, mais qui ne couvre pas tout le reste, le mix est harmonieux, équilibré, et c’est très appréciable. Le rythme lent martelé de complainte doom / sludge est hypnotisant, en concert je vois d’ici le public en communion, les yeux fermés et dodelinant ensemble. La progression est lente tout au long d’un morceau de presque 10 minutes, qui est une durée adéquate pour ce type de titre qui installe vraiment une ambiance, une plage atmosphérique sombre. Vers la moitié du titre le tempo ralentit et les guitares deviennent plus planantes, des échos psychédéliques, il y a peu d’effets, de la place est laissée au vide pour profiter de chaque parcelle de son, je comprends de mieux en mieux le nom du groupe, ce 0 entre parenthèses, ce néant primordial enclos dans un cadre délimité. Les modulations à la guitare assorties d’un bruit assez indéfini qui évoque le vent dans une plaine désolée aboutissent à une montée bruitiste de plus en plus aiguë. Un retour à un tempo plus pêchu se produit un peu avant 8’, puis le retour du chant, inflexible, guttural, où s’entend chaque inspiration et expiration, produit un effet très brut et féroce. Il y a vraiment un excellent équilibre dans le mixage qui met en valeur tous les instruments et la voix sans trop lisser le son, il y a quelque chose d’assez matériel dans ce qu’on perçoit, des aspérités dans la guitare, des rugosités dans la voix qui interpellent. Ensuite Sortfugl offre un début plus rock
/ psyché, énergique, avec une arrivée rapide du chant, c’est un titre plus dansant, entraînant sans pour autant être « joyeux », je n’irais pas jusque là, mais en tout cas ambivalent. Le chanteur tient ses cris de façon impressionnante, d’autant qu’ils sont mis en valeur par le contraste qu’offre une mélodie plus lumineuse, plus post-metal. Vers la moitié du titre on a une relance plus agressive, post-black. Au bout de 4 minutes la mélodie n’a plus rien à voir avec celle de départ, il y a une énorme variation dans ce titre, très progressif, avec des passages proches du drone. La fin est cataclysmique, avec une agitation soudaine faite d’une tempête de batterie, guitares, basse, qui s’arrête net dans un cri. Que de richesse dans ce titre qui aurait de quoi en constituer quatre !
Le titre éponyme SkamHan débute dans une lenteur extrême, le temps semble étiré, chaque note poussée au maximum. Vers 2’30 l’ajout de la guitare lente et psychédélique donne une sensualité à l’austérité déchirante du début du titre et change complètement le registre, avant qu’intervienne une nouvelle rupture juste ensuite avec le chant growlé intense. Ce genre de morceau me raconte musicalement une histoire, mais pas une histoire faite de visualisations, non, c’est un titre qui me tient en haleine parce que je veux savoir quels sons vont venir ensuite et que je sais que je vais être surprise. Je suis vraiment suspendue à la trame et aux péripéties de SkamHan (le titre, et l’album). Et une fois encore c’est un titre très long qui me bluffe, parce que c’est sur ce genre de plage musicale qu’un groupe comme (0) semble pouvoir le mieux déployer l’étendue de sa grandiloquence et de ses inspirations, en déployant petit à petit ses talents variés pour prendre au piège l’auditeur. Le début du dernier titre, Alle Renses, est très atmosphérique, un peu onirique, très planant, de nouveau dans un style proche du drone. Ce dernier morceau, superbe, est complètement instrumental, et il est magnifique de singularité. Impossible de déterminer vraiment ce que j’écoute, mais je n’ai même pas besoin de le savoir, il suffit de se laisser porter par tout ce magma inspirant et éthéré.
Je ne savais pas à quoi m’attendre avec ce disque, et cela tombe bien car à ce niveau je n’ai pas été déçue, vu que je ne suis pas encore certaine de pouvoir définir précisément ce que j’ai entendu : ce n’est pas que de la rhétorique commerciale, (0) est vraiment un groupe à part, extrêmement prometteur, relativement inclassable à moins de fusionner 8 styles musicaux, qui excelle dans un style personnel à la fois relaxant et galvanisant. Onirique, sans une note de trop, mordant, intense :
Au premier abord, je remarque la jolie pochette à tendance abstraite, entre figure christique voilée, propagations de couleurs pastel tie dye, tissu froissé, glace craquelée, cela évoque la noirceur sous la douceur, dans une composition à la fois organique et sophistiquée. C’est un artwork assez inhabituel pour du black présenté comme très sombre et terrorisant, c’est plutôt intrigant (et cela semble être le but puisque tout présente le « groupe anonyme » comme le « secret le mieux gardé du black metal progressif underground danois » (déjà avec un nom qu’on ne sait pas comment prononcer ça aide, savoir quoi taper sur un moteur de recherche pour tomber sur le groupe est assez folklorique aussi, en plus c’est un premier album donc par définition c’est encore assez condifentiel…), les musiciens n’ont que des initiales (entre parenthèses bien sûr) ; (FJ) au chant, (JU) et (MA) à la guitare, (JK) à la batterie et (MC) à la basse, bref la promotion de ce groupe, c’est le mystère. Quelque part même sans que l’on puisse s’attendre à quoi que ce soit de précis cela met déjà une pression du résultat : avec tant de détours et de volonté d’attiser la curiosité, j’espère que SkamHan est bel et bien un joyau caché qui ne demande qu’à être découvert.
Le premier des sept titres, longs pour la plupart, est Tyndere end Hund. Il a déjà un clip, de type fond d’écran mouvant reprenant l’esthétique de la pochette, avec des paroles en danois et traduits en anglais (il y a quand même une volonté d’aller vers son public pour un groupe présenté comme si impénétrable et difficile à connaître). C’est pas mal mais relativement classique pour du black, virulent, rythmé, offensif, pas de grosse surprise pour le moment, je pourrais l’écouter en fond sonore dans un bar sans que ça me fasse relever la tête. Mais tout change avec Sjaelstjaeler, et sa très longue intro répétitive et lancinante, avant l’arrivée de la voix vers 2’20. Il y a une lenteur et une lourdeur dans cette chanson, une pesanteur remarquable. Vers 3’15 puis vers la fin du titre des riffs de guitare plus psychédéliques apportent un petit twist dans l’avancée inéluctable d’un morceau très monocorde : seulement deux petites envolées qui viennent nous sortir la tête de l’eau, comme pour nous aider à progresser dans un environnement hostile, c’est une structure intéressante. Le troisième morceau, Skarntyder débute de façon plus rythmée, les accords sont plus contrastés, les growls vindicatifs et rapides ressemblent à des cris d’agonie. Les passages guitare/basse/batterie sont lugubres et puissants, et les hurlements du chanteur seul sans aucuns chœurs derrière renforce l’impression de solitude, de néant, d’atmosphère sombre et inéluctable qui se dégage du titre. Lors de certains moments d’accalmie le chant se fait encore plus douloureux et expiatoire, cet énigmatique (FJ) a une voix fort expressive.
Le quatrième morceau, Rød Glorie, est l’un des plus longs de l’album. Le début tout calme et mélancolique à la guitare et la basse, cette atmosphère minimaliste et épurée est propice à des rêveries froides, et me fait penser à des paysages désolés, ça me détend. Vient s’ajouter la voix caverneuse, vraiment bestiale avec une résonance, comme un grognement d’ours ou de loup, suivi d’un déluge de batterie, mais qui ne couvre pas tout le reste, le mix est harmonieux, équilibré, et c’est très appréciable. Le rythme lent martelé de complainte doom / sludge est hypnotisant, en concert je vois d’ici le public en communion, les yeux fermés et dodelinant ensemble. La progression est lente tout au long d’un morceau de presque 10 minutes, qui est une durée adéquate pour ce type de titre qui installe vraiment une ambiance, une plage atmosphérique sombre. Vers la moitié du titre le tempo ralentit et les guitares deviennent plus planantes, des échos psychédéliques, il y a peu d’effets, de la place est laissée au vide pour profiter de chaque parcelle de son, je comprends de mieux en mieux le nom du groupe, ce 0 entre parenthèses, ce néant primordial enclos dans un cadre délimité. Les modulations à la guitare assorties d’un bruit assez indéfini qui évoque le vent dans une plaine désolée aboutissent à une montée bruitiste de plus en plus aiguë. Un retour à un tempo plus pêchu se produit un peu avant 8’, puis le retour du chant, inflexible, guttural, où s’entend chaque inspiration et expiration, produit un effet très brut et féroce. Il y a vraiment un excellent équilibre dans le mixage qui met en valeur tous les instruments et la voix sans trop lisser le son, il y a quelque chose d’assez matériel dans ce qu’on perçoit, des aspérités dans la guitare, des rugosités dans la voix qui interpellent. Ensuite Sortfugl offre un début plus rock
/ psyché, énergique, avec une arrivée rapide du chant, c’est un titre plus dansant, entraînant sans pour autant être « joyeux », je n’irais pas jusque là, mais en tout cas ambivalent. Le chanteur tient ses cris de façon impressionnante, d’autant qu’ils sont mis en valeur par le contraste qu’offre une mélodie plus lumineuse, plus post-metal. Vers la moitié du titre on a une relance plus agressive, post-black. Au bout de 4 minutes la mélodie n’a plus rien à voir avec celle de départ, il y a une énorme variation dans ce titre, très progressif, avec des passages proches du drone. La fin est cataclysmique, avec une agitation soudaine faite d’une tempête de batterie, guitares, basse, qui s’arrête net dans un cri. Que de richesse dans ce titre qui aurait de quoi en constituer quatre !
Le titre éponyme SkamHan débute dans une lenteur extrême, le temps semble étiré, chaque note poussée au maximum. Vers 2’30 l’ajout de la guitare lente et psychédélique donne une sensualité à l’austérité déchirante du début du titre et change complètement le registre, avant qu’intervienne une nouvelle rupture juste ensuite avec le chant growlé intense. Ce genre de morceau me raconte musicalement une histoire, mais pas une histoire faite de visualisations, non, c’est un titre qui me tient en haleine parce que je veux savoir quels sons vont venir ensuite et que je sais que je vais être surprise. Je suis vraiment suspendue à la trame et aux péripéties de SkamHan (le titre, et l’album). Et une fois encore c’est un titre très long qui me bluffe, parce que c’est sur ce genre de plage musicale qu’un groupe comme (0) semble pouvoir le mieux déployer l’étendue de sa grandiloquence et de ses inspirations, en déployant petit à petit ses talents variés pour prendre au piège l’auditeur. Le début du dernier titre, Alle Renses, est très atmosphérique, un peu onirique, très planant, de nouveau dans un style proche du drone. Ce dernier morceau, superbe, est complètement instrumental, et il est magnifique de singularité. Impossible de déterminer vraiment ce que j’écoute, mais je n’ai même pas besoin de le savoir, il suffit de se laisser porter par tout ce magma inspirant et éthéré.
Je ne savais pas à quoi m’attendre avec ce disque, et cela tombe bien car à ce niveau je n’ai pas été déçue, vu que je ne suis pas encore certaine de pouvoir définir précisément ce que j’ai entendu : ce n’est pas que de la rhétorique commerciale, (0) est vraiment un groupe à part, extrêmement prometteur, relativement inclassable à moins de fusionner 8 styles musicaux, qui excelle dans un style personnel à la fois relaxant et galvanisant. Onirique, sans une note de trop, mordant, intense :
Critique : Elise Diederich
Note : 9/10
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