Chronique

MOONSPELL - HERMITAGE / Napalm Records 2021

Hermitage, le 13ème album du groupe pilier du metal gothique Moonspell, sort le 26 février 2021, à l’aube de leur trentième anniversaire de carrière. Le chanteur, Fernando Ribeiro, a amorcé la promo de cet album d’une façon singulière, puisqu’il annonce qu’il considère que ses comparses et lui sont dans la dernière ligne droite de leur carrière musicale, à l’hiver de leur vie. C’est pourquoi dans de telles circonstances leurs objectifs musicaux sont encore plus hauts et ambitieux, souhaitant faire uniquement ce qu’ils veulent, en déconnexion totale des algorithmes et likes des réseaux sociaux. Les thèmes qu’aborde Hermitage sont sombres et (car ?) actuels : solitude, idée que rien dans le monde ne tourne autour de nous, que nous ne sommes pas grand-chose à l’échelle de la planète, pandémie et quarantaine, aspiration à tourner le dos à la vie moderne, isolement…

Le premier des 10 titres, The Greater Good, offre un début très planant, psyché, presque prog, très intrigant. La voix est enveloppante, laissant parfois entendre des cris puissants et écorchés sur une musique étrangement lumineuse et entraînante. C’est une chanson qui donne à entendre une progression de la force tranquille à la colère. Common Prayers appose couplets un peu dissonants et tortueux et chœurs des refrains plus solaires, avec un contraste entre la mélancolie des thèmes, et la musique produisant plutôt une impression d’élévation de prime abord. J’ai particulièrement retenu la montée en puissance sur la fin. La mélodie du troisième titre, All or Nothing, est assez lente et langoureuse, avec une guitare un peu blues, et laisse beaucoup de place à l’instrumental. Les passages calmes sont très apaisants, Ribeiro semble presque nous chanter une berceuse, soutenu par un solo de guitare émotionnel et aérien. Cohabitent une tristesse dans la voix mais quelque chose de beaucoup plus galvanisant dans la musique, ce qui produit une sorte de clair-obscur musical. Le départ de la chanson suivante, Hermitage, est plus tonitruant, c’est un titre qui laisse plus de place aux cris, mais qui me paraissent manquer de conviction (sûrement à cause de la voix claire, ils ne me semblent pas assez growlés pour être vraiment intenses, surtout dans les « wooohooo » qui auraient mérité un peu plus de punch ou d’incarnation à mon sens). Le chant solo est rejoint par les chœurs, avant de laisser toute la place à un autre solo de guitare stratosphérique, puis à la basse robuste. J’ai aimé la transformation du chant qui se mue davantage en grondement vers la fin et se mêle encore mieux aux chœurs, dommage selon moi que ces intonations plus agressives soient arrivées si tard dans le morceau. Entitlement allie composition intrigante, envoûtante, et placement de la voix de Ribeiro suave, soutenue par un jeu très cinématique. L’ambiance me rappelle l’époque Irreligious, et m’évoque également un peu Septicflesh. À la fois très gothique et très pop avec ses chœurs ouatés, tantôt facile à écouter, tantôt plus mystérieux et cinématique, presque prog, ce morceau combine beaucoup de douceur mais aussi une grande richesse de construction avec des structures plus inattendues à la guitare et à la basse.

Solitarian, à mi-parcours, est un morceau instrumental très planant plus prog que goth, que je n’aurais jamais identifié comme du Moonspell dans un blindtest, qui me donne plutôt l’impression d’écouter un groupe de psych rock des années 70, en imaginant une longue marche dans le désert, ou des constellations – surtout lorsque se font entendre des espèces de… bruits de dauphins ? Il y a même un peu de Tangerine Dream là-dedans. Le contraste est manifeste entre la douceur de la guitare et de la basse et la rapidité de la batterie en décalage, ce morceau est très ample, toujours prêt à changer d’ambiance, sur le fil. The Hermit Saints démarre sur des chœurs assez solennels, mais la musique et la voix sont en décalage (presque un peu fausse au démarrage), puis l’ambiance change rapidement. Je suis beaucoup plus portée par les chœurs que par

les cris de Ribeiro que je trouve un peu entre deux eaux, et pas toujours super justes, sans pour autant sembler écorchés ou dégager une hypersensibilité : je suis simplement plus sensible aux notes gutturales de la tessiture du chanteur lorsqu’il pousse la voix que par ses inflexions plus claires. Ce titre m’a paru étonnamment long pour ses 4 mns 22, un peu trop plat par rapport à ceux qui l’ont précédé. Je n’ai pas du tout aimé le début du chante sur Apophteghmata, trop faible et falot, avec des petites faussetés, un peu à contretemps parfois, heureusement l’instru est rapidement deveue assez dramatique et musclée, et le gain en intensité lors du passage à un chant plus virulent et grave a redonné de la vitalité au morceau. J’ai quand même du mal à ne pas me référer aux albums passés du groupe, qu’il s’agisse d’Irreligious, d’Extinct ou d’Alpha Noir / Omega White, et à attendre un chant plus profond, et pourtant j’aime quand les groupes se renouvellent et proposent des contenus surprenants et des innovations musicales, mais… je trouve la voix de Fernando Ribeiro beaucoup plus satisfaisante quand elle s’aventure dans les graves, c’est un fait, je ne peux pas lutter. On passe à Without Rule et son début un peu dissonant, énervé, tendu, pourtant la voix est paradoxalement calme et posée. La basse en boucle crée une tension, avec une reprise des paroles en écho. Les passages calmes, mais jamais totalement, alternent avec des phases plus électriques, mais avec un contraste avec le phrasé posé de la voix : c’est un album qui souffle vraiment le chaud et le froid en permanence, mélange ses ambiances, c’est ambitieux musicalement et plein de bons éléments mais en même temps j’ai du mal à m’immerger dans son atmosphère car elle ne crée que des états contradictoires et très temporaires chez moi, et ne correspond à aucun état d’esprit précis qui me donnerait envie d’écouter plutôt tel ou tel type de musique… Le solo de guitare est simplement superbe (ce sont peut-être les seules parties de cet album que j’apprécie franco sans me poser de questions et être un peu perplexe). L’outro City Quitter additionne piano et clavier mélancoliques, nappes très flottantes, effet d’écho atmosphérique, c’est très gothique, on croirait presque entendre le vent souffler sur la plaine. Le morceau s’achève sur un frétillement électronique assez curieux, qui donne l’impression qu’une suite est imminente, et donnerait envie d’écouter une dernière chanson… C’est une fin qui ne ressemble pas à une fin, plutôt au frémissement de quelque chose de nouveau.

Hermitage est un album plutôt surprenant dans la discographie de Moonspell, loin d’être inintéressant, mais qui ne suscite pas une adhésion immédiate chez moi contrairement à d’autres de leurs opus, peut-être parce qu’il ne ressemble pas à ce que j’attendais (pas forcément à raison) de Moonspell. Il plaira peut-être plus aux fans de Steven Wilson, Devin Townsend ou Leprous qu’aux afficionados de metal gothique à la Paradise Lost ou Lacuna Coil. Pour le moment je mettrais plutôt 7/10 à cet album mais je sais que pour d’autres auditeurs ce sera bien plus un coup de cœur, certainement mérité, et qu’en le réécoutant je l’apprécierai sûrement de plus en plus, en m’adaptant à une nouvelle époque moonspellienne. Donc en pariant sur le futur et la malléabilité de mon oreille et de mon jugement :
 
Critique : Elise Diederich
Note : 8/10
Site du groupe : Page Facebook du groupe
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