Live Report

CERNUNNOS PAGAN FEST 2020 - Jour 1 - La Ferme Du Buisson - 22/2/2020

 
La fin du mois de février est rarement la période la plus gaie de l’année, entre grisaille, averses et frimas, et pourtant je suis contente de la voir arriver car elle annonce un événement que je suis contente de voir revenir tous les ans : le Cernunnos Pagan Fest ! Samedi 22 février donc direction Noisiel et sa « Ferme du Buisson », le centre culturel de la ville, pour assister à toute une flopée de concerts dans les veines pagan, black, heavy metal ou encore folk, renouant avec les musiques traditionnelles et honorant des divinités ancestrales. Une super occasion de revoir sur scène des groupes que je connais déjà et d’en découvrir plein d’autres.

À peine arrivée, je constate sans grande surprise que le festival a encore une fois beaucoup de succès ; le temps de trouver (difficilement) une place de stationnement et de récupérer mon bracelet et mon pass presse, j’arrive en retard pour le premier concert et ne peux entendre que les dernières notes du set d’Unnamed Season, durant une grosse demi-heure… Je ne traîne pas pour passer dans l’autre salle et aller me placer pour Prima Nocta. Dès les premières notes de cette troupe belge, je suis conquise par leur énergie, leur talent et leur humour. Il faut dire que le groupe est totalement dans le ton du fest avec un style à la fois metal, folk, rock et teinté de sonorités médiévales, mené par six musiciens excellents, dont certains multi-instrumentistes. Au total l’on a pu voir et entendre trois cornemuses, un bouzouki, une batterie, deux tambours, une batterie, ainsi que trois instruments à vent ressemblant à des bombardes, accompagnés de chants festifs et gouailleurs, entonnés par un chanteur principal au look de vieux loup de mer espiègle à tricorne, parfois rejoint par les autres musiciens, eux aussi vêtus de façon folklorique jusqu’aux souliers en cuir pointus. Le public n’a pas boudé son plaisir, rigolant aux blagues du frontman à l’accent belge fort sympathique, dansant, tapant des mains : l’ambiance était au rendez-vous dès le début de l’après-midi ! Certains membres du groupe étaient si expressifs et dotés d’un jeu de scène inimitable qu’ils m’ont vraiment mise de bonne humeur et que ce sera une réelle joie de les revoir un de ces jours.

Je retourne dans la petite salle, l’Abreuvoir, pour prendre connaissance d’un groupe qui m’est totalement inconnu, Vermilia. Les inconditionnels de metal-à-chanteuse ont déjà réquisitionné le premier rang pour observer de près la frontwoman, qui est le seul membre du groupe que l’on remarque, puisque les musiciens sont totalement invisibilisés sous des tenues en espèce de, hmm, toile de jute peut-être, munies de capuches. Personnellement je vois des clones d’Oogie Boogie de « L’étrange Noël de Mr Jack » en train de jouer de la basse, de la guitare et de la batterie, et une chanteuse plus apprêtée qui est la seule qu’il faut regarder, et j’ai un peu de mal avec ce genre de configuration. Dans le cas de Vermilia, il s’agit sur le papier d’un projet solo, ceci explique cela, et j’ai appris par la suite qu’il s’agissait du tout premier concert de la chanteuse finlandaise, également joueuse de flûte traversière et de tambour chamanique, ce qui laisse espérer une bonne marge de progression vu que ce début était déjà plutôt pas mal. Le son de l’Abreuvoir était trop fort et brouillon et ne m’a pas permis de profiter vraiment des chansons en finnois ni d’apprécier les nuances de la voix de la jeune femme, alternant entre passages clairs et mélancoliques et growls, mais je comprends qu’il y ait eu là matière à plaire aux fans de ce genre de musique.

Vers 16h, puisque c’est l’heure du goûter, un petit godet d’hydromel s’impose. (Ben quoi, ce n’est pas une collation consistante ?) J’en profite pour saluer quelques ami.e.s que je croise essentiellement en concerts et festivals, prendre un peu l’air, et de ce que j’entends depuis l’extérieur de la Halle, Black Messiah ne me tente pas plus que ça… Grosse erreur de jugement pourtant ! Heureusement que ma curiosité m’a poussée à quand même aller jeter un œil et une oreille, à l’instar d’un zombie en décomposition, à ce que donnait ce groupe, que je connaissais en fait sans le savoir, car j’ai adhéré tout de suite à ce que j’ai trouvé dans la salle bien remplie ! Le groupe allemand est un pilier de la scène pagan et viking metal, actif depuis 1992, il ne s’embarrasse pas des limitations stylistiques et se moque bien de faire du power thrash ou du black death tant que ça colle à leur musique, tant qu’ils se réapproprient les genres pour les interpréter sur scène d’une façon ô combien convaincante et habitée. Quand je pense que j’ai failli louper ce groupe génial, ne rechignant pas devant une reprise metal de « Moskau » de Dschinghis Khan – et on ne peut pas parler d’appropriation culturelle mais plutôt d’un hommage à leurs prédécesseurs et compatriotes : à quand l’Eurovision Pagan Fest ? Le guitariste à nattes était particulièrement vivace et agréable à regarder jouer, les membres du groupe semblaient liés d’une authentique complicité, le chanteur violoniste était doué, je n’ai vraiment rien à redire sur ce concert !

Changement d’ambiance en repassant dans la petite salle pour assister au concert d’un groupe au nom ma foi plutôt plaisant : In Vino Veritas. (Qui a dit que le pagan ne parlait que de bière ? C’est faux, il honore aussi d’autres alcools !) La troupe médiévale folk venue d’Italie existe depuis dix ans et son dernier album en date s’appelle « Bestiarium », d’où un petit côté « le loup, le renard et la belette » dans les tenues, puisque les musiciens arborent tous des masques d’animaux stylisés en cuir – sur le front et non sur le visage, ce qui est plutôt une bonne idée à mon sens pour conserver le côté décoratif sans venir amoindrir l’échange avec le public. Les musiciens définissent leur style comme du pagan médiéval, de la trance folk, du néomédiéval, ou encore de la musique du monde, ce qui est loin d’être usurpé lorsque l’on voit la variété d’instruments traditionnels de tous horizons qu’ils utilisent sur scène : vielle à roue, nyckelharpa, hulusi, harpe celtique, bouzouki, gaïta, flûte, chalumeau, ainsi que plus classiquement basse, batterie et percussions. L’ensemble fait de costumes assez onirique, de lumières douces, d’instruments folkloriques est très doux et prenant, et même si la foule fut parfois joyeusement agitée par moments, n’hésitant pas à danser la farandole, je garde plutôt un souvenir ouaté du set de ce groupe. Les passages au chant diphonique du bassiste étaient surprenants et bienvenus, et derrière les airs de troupe médiévale assez classique au premier abord de In Vino Veritas, l’on peut trouver une vraie patte personnelle chez ces musiciens très talentueux.

Direction la Halle en cette fin d’après-midi pour aller voir Saor, pour la troisième fois en ce qui me concerne. Je ne sais pas trop à quoi m’attendre avec ce groupe, car il s’est agi pour moi d’un coup de cœur au Brin de Zinc, dans un tout petit bar à Barberaz, en 2017, puis d’une grosse déception il y a quelques mois au Backstage by the Mill à Paris, comme si ce n’était plus le même groupe, le même son, la même magie… Je ne sais pas trop ce qui s’est passé, mais le premier concert était excellent, et le deuxième insipide. J’attends de voir ce que ce jamais deux sans trois me réserve. Malheureusement il ressemble plus à l’édition parisienne que j’ai pu voir… Le son est peu clair, assez étouffé, je ne comprends pas grand-chose à ce qui se passe, avec ou sans bouchons d’oreilles. Le violon ne s’en sort pas mieux, c’est de la bouillie. Et visuellement, c’est le même topo, la fumée est tellement épaisse que je ne vois pas trop ce qui se passe, alors comme en plus les musiciens écossais sont assez peu communicatifs avec leur public, je me lasse vite, et pars trouver quelque chose à manger.

Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas, puisque mon repas, une estouffade de bœuf aux épices, était en fait à moitié composée de gras immangeable, à l’assaisonnement bourrin, bref un plat pas très appréciable et un peu cher qui m’est resté sur l’estomac. Mi-rassasiée mi-dégoûtée je retourne à l’Abreuvoir pour assister au set d’un groupe que je connais déjà, Rastaban. J’avais découvert le groupe folk médiéval en première partie de The Moon and the Nightspirit et Trobar de Morte au Glazart et je suis contente de retrouver leur musique douce, mélodieuse mais somme toute entraînante, menée par d’excellents instrumentistes : dans cette troupe belge et hollandaise aux sonorités absolument pas métalliques, l’on trouve un violoniste, un joueur de didgeridoo à coulisse, un joueur de bouzouki et un batteur. Et bien sûr Marine Libert au chant, à la voix claire et délicate. Le groupe ne manquait pas d’humour, nous demandant par exemple « Vous voulez du metal ? », avant de nous asséner un « Eh ben on n’en fait pas ! » bon enfant, et le set a semblé ravir l’assistance. Néanmoins au bout d’un petit moment j’ai fini par trouver l’ensemble un peu sage et répétitif, bien que joli – probablement en comparaison avec certains groupes précédents plus agités.

Pour l’avant-dernier concert de cette journée dans la grande salle, c’est Heidevolk qui était au programme, promettant un bon moment de rigolade et pagan festif. J’avais déjà eu l’occasion de voir les Hollandais une ou deux fois avant, et si je n’en ai jamais gardé un souvenir impérissable, j’ai toujours passé du bon temps, ce qui est déjà très bien ! Moi qui n’aime pas forcément les samples en concert, je trouve ceux d’Heidevolk bien intégrés à l’ensemble et surtout pas trop kitsch. Les voix des deux chanteurs se complétaient très bien, l’une grave et gutturale, l’autre plus claire et mélodique, rien à redire du côté de la basse, de la guitare, de la batterie, on sentait beaucoup de professionnalisme dans le show qui nous était livré, mais sans l’aspect « mode automatique » qui en réchappe parfois chez certains groupes. Le public était au rendez-vous en masse, et une masse en mouvement, ce concert lança vraiment les hostilités au niveau des pogos, des slams et des circle pits, les festivaliers arrivant parfois n’importe comment par-dessus nos têtes et sur la scène…

Changement radical d’atmosphère avec Anomalie, un groupe autrichien qui a tenté de faire de l’Abreuvoir le lieu de notre éternel repos, si j’en crois la dose d’encens à la fois âcre et acide avec laquelle le chanteur a mis en œuvre de nous asphyxier… Cela faisait partie du décorum – attrape-rêves maison accroché au pied de micro, gri-gris, perles et plumes, crânes d’animaux – mais c’est mon côté rabat-joie, j’aime bien respirer, c’est un truc qui me fait plaisir, et qui m’empêche de décéder, ce qui est plus pratique pour écouter de la musique, prendre des photos et tenter de rédiger un report. Le nez dans mon col roulé déroulé je me suis progressivement laissée happer par l’atmosphère la plus lourde et sombre de cette journée de concerts, très réussie, dans un style qui n’est pourtant pas celui avec lequel j’ai le plus d’affinités, du black metal atmosphérique un peu impénétrable. Anomalie a des membres en commun avec le groupe de black metal dépressif Harakiri for the Sky, que je trouve incroyable en live, ce qui explique en partie que je sois réceptive à l’intensité violente qui se dégage de leur musique, et ce sans trop en faire, sans volonté de charmer le public, mais plutôt en communion évidente avec lui.

Après une telle découverte, je suis moins en phase avec la tête d’affiche de ce soir, Unleashed, qui n’a pas grand-chose à voir avec le reste de la programmation du festival. En effet je suis surprise de voir ce groupe de death thrash suédois super bourrin clore cette première journée – avant de découvrir que les paroles de certaines chansons du groupe évoquent la culture viking, le folklore nordique, le monde pré-chrétien ainsi que les œuvres de Tolkien, seems legit so. Néanmoins, musicalement, Unleashed ne m’atteint pas du tout, ni scéniquement. En revanche, ce qui m’atteint, ce sont les rangers de slammeurs dans ma tête, des coups dans le dos, des chutes contre la scène à plusieurs reprises, puis mon objectif tapé violemment dans un retour du bord de la scène à cause de la violence des pogos bien vénères qui n’ont pas tardé à démarrer dans la fosse. J’assiste à quelques titres rapides et gueulards auxquels je ne comprends pas tout et dont je ne profite pas des masses, avant de filer rapidement puisque j’ai déjà eu amplement ma dose de musique qui me plaisait bien davantage que cela aujourd’hui !

Coups de cœur du jour : Prima Nocta, Black Messiah, In Vino Veritas et Anomalie.

En revanche je ne recommande pas : la viande pleine de gras de la cantoche du Cernunnos et Unleashed.
 
Critique : Elise Diederich
Date : 22/2/2020
Vues : 2006 fois