Live Report

CHRISTIAN DEATH - Curtain - Slit - The Designs - Glazart - Paris - 29/8/2022

 
C’est une longue soirée qui s’annonce au Glazart en ce lundi de fin août avec pas moins de 4 groupes à l’affiche, c’est presque un mini festival organisé par Garmonbozia et MuzikÖ Eye, et à 19h et quelque l’ouverture est assurée par The Designs, un projet italien d'électro expérimentale selon eux, que je découvre avec plaisir, et qui sonne à la fois goth, rock, un peu trip hop et électro. Le groupe offre un mix très original d’influences avec une esthétique un peu chic et horrifique, entre famille Adams et diner fifties. Un chanteur et une chanteuse se partagent le devant de la scène, les deux avec la robe ou les bras couverts de gazoline, jouant d’un comportement un peu freak, comme des enfants turbulents. Lui a les cheveux gominés, saisit parfois un mégaphone pour scander les refrains dedans, elle en robe rose pastel et couettes, platform shoes fait des moues d’adolescente chipie. Le batteur, le guitariste et le bassiste ne s’économisent pas non plus en poses et mimiques vis-à-vis du public, pas encore très nombreux en début de soirée mais plutôt enthousiaste cependant. Les membres de The Designs sautent sur place, le guitariste et le bassiste sont élégants et ont des gestes chaloupés, le batteur fait tourbillonner ses baguettes, le tout est aussi agréable à regarder qu’à écouter. Leur son m’évoque un peu Placebo, Massive Attack, Peter Murphy, Atari Teenage Riot, bref c’est original et brasse large un mélange d'influences de façon harmonieuse. Leur attitude super sympa envers les spectateurs, simple et accessible, finit de nous faire passer un bon moment.

Le deuxième groupe de la soirée est Silt, et c’est une deuxième découverte pour moi. Il s’agit là d’un trio (chanteur bassiste, guitariste, batteur) originaire de Montpellier et Paris, sombre et mélancolique, navigant quelque part entre le post-rock, le doom et la cold wave. La voix du chanteur est envoûtante, à la King Dude, mais dans une chanson il passe soudainement à des refrains hurlés avec un chant plus death/black très surprenant, le contraste a été saisissant. Des paroles sinistres telles que "Always late for life", des rythmes un peu lancinants, une atmosphère pessimiste, inéluctable, plein d’éléments s’agencent pour dégager quelque chose de désabusé, dans une veine Crystal Castles ou Jessica93. Je suis assez fascinée par leur son et leur prestance, c'est très bon, ils nous disent qu'ils ont sorti un CD, aujourd'hui même, et qu'il n'est pas encore disponible, et que c'est leur tout premier concert : c'est dur à croire car ils maîtrisent la scène avec aisance. Leur bio Facebook annonce “Imagine a mix between Katatonia (old), Sisters of Mercy, Mogwai, Archive, mixed into a dark gothic rock, there we are”, tout un programme non ? Auquel personnellement j’adhère sans hésitation ! Leur mot de la fin était également savoureux : "Paris, c'était très bon, parfois, comme la baise, vite mais profitable, on se voit bientôt !" Silt, un groupe à suivre et dont on n’a certainement pas fini d’entendre parler.

Troisième groupe de la soirée : Curtain. Encore un inconnu à mon bataillon, mais le public autour de moi s’est densifié et la formation est vraisemblablement attendue de pied ferme. Le groupe est un trio français composé d’un chanteur guitariste, d’un bassiste et d’un claviériste au fond dans le noir avec des lunettes de soleil, et qui nous filme avec son portable accroché sur un support. Les influences musicales du groupe sont principalement new wave et cold wave et peuvent évoquer The Cure, She Past Away, Drab Majesty, Depeche Mode, Jad Wio (période "Taïba"), Tears for Fears ou même Indochine quand le chanteur chante en français. Il y a beaucoup de réverbération dans la voix, ce qui donne un son un peu crade et malsain, caverneux (cave wave ?), un peu noise / indus en prime. L’écho produit même un effet un peu "attention au dépaaaart" de fête foraine quand le chanteur s'adresse à nous entre les titres.
Je trouve certains titres un peu répétitifs sur certains passages, mais d’autres sont totalement envoûtants, et le groupe est clairement venu avec sa fanbase, je dois vraiment sortir de ma grotte pour ne jamais avoir entendu parler de Curtain jusqu’alors ! Le chanteur guitariste rencontre un problème de guitare pendant un bon moment, le claviériste essaie de venir l'aider en abandonnant son instrument et bidouille tous les branchements pendant que le chanteur fait des signes à l’ingé son. Le public est super réactif, je suis cernée par des mouvements de danse goth, aka de grands moulinets de bras qui atterrissent régulièrement dans mon appareil photo.

Mais place à présent à Christian Death ! Lorsque le clou de la soirée arrive la fosse s'est bien remplie, et les fans sont prêts à entendre leurs titres favoris, et font des pronostics sur les chansons qui seront interprétées. Le chanteur et guitariste a un look particulier, étudié, avec un pantalon pattes d'eph' et une chemise body transparent pailleté, très années 70, et la coupe de cheveux allant avec, touffe bouclée et vaporeuse, entre Boney M et Bob Ross. Son air est étrange, éthéré, il a le regard absent. La chanteuse et bassiste un look tout aussi voyant, avec une tenue moulante et transparente, malheureusement son chant est souvent assez faux, avec pas mal de larsens très désagréables. Elle minaude beaucoup, s'égosille, se tortille, c'est un peu éprouvant à regarder comme à écouter… Le chant du chanteur est plus juste que celui de son acolyte, même si un peu chevrotant, mais cela donne une petite vibe mélancolique. Le batteur et le guitariste sont très bons et ont moins le melon, il faut dire qu'ils ne sont pas les porte-étendard du groupe et cela fait la différence. Le décor à base de fausses roses rouges et quelques roses noires, disposées sur les micros, sur la batterie, est kitsch, et là où cela aurait pu créer une mise en scène sympa dans un autre concert là c'est surtout ridicule allié au reste. La chanteuse a l'air high, à un moment elle renverse beaucoup d'eau par terre, sur sa guitare, sur des fils électriques, les gars de l'équipe technique ramènent du sopalin pour éponger tout ça avec une bonne moitié de gros rouleau. Elle n'a pas l'air de s'être rendu compte de la situation, à côté de sa petite bouteille d'eau il y a une autre bouteille avec un liquide orange : je parierais sur une vodka orange. Le chanteur quant à lui fait tomber à plusieurs reprises ses guitares, il finit par faire un tas avec les trois, en ramasse une en disant "My baby's alright" et la berce en lui faisant un câlin, je ne sais pas à quoi ils carburent mais leurs interactions sont vraiment perchées. Entre les morceaux des fans réclament certains titres, ce à quoi le chanteur répond sur un ton sentencieux “We are not DJs, we don't take requests, we play what we feel like to play, and we hope you'll love it anyway”, interdiction de se détendre ! Un titre passe en mode karaoké (ce qui permet de se rendre compte que la chanteuse se trompe à plusieurs reprises), d'autres morceau sont accompagnés de clips gratinés remplis de chevaux au galop, d’esthétique entre Luis Royo et Victoria Frances, de mains ensanglantées en plastique dans la neige, d'images de cimetières, de femmes fatales en nuisettes dansant mal, bref c'est presque fascinant tant c'est mauvais, à se demander si c'est du second degré ou au contraire très très sérieux. Je crois que c’est même très très très sérieux. Ou pas ? Certains titres sont dansants, rythmés et plutôt bien interprétés, d'autres me donnent l'impression d'avoir allumé la télé sur Arte à 3h du matin l'été pendant une insomnie – les vrais savent.

Au bout du compte j’ai aimé ou adoré les trois groupes d’ouverture que je suis absolument ravie d’avoir découverts, et j’ai phasé et écarquillé les yeux pendant les trois quarts du concert du groupe tête d’affiche parce qu’à moins d’être un fan inconditionnel de Christian Death ou d’avoir pris la même chose qu’eux il est difficile de se laisser embarquer dans une ambiance aussi space et déconnectée.
 
Critique : Elise Diederich
Date : 29/8/2022
Vues : 409 fois