Chronique

SHAÂRGHOT - THE ADVENT OF SHADOWS / Planète Nomade 2019

Le groupe parisien Shaârghot, avec ses membres grimés, peinturlurés et aux pseudos énigmatiques, est de retour avec Vol. II - The Advent of Shadows, un deuxième album de son mélange fracassant d’électro, de metal et d’indus, aussi sombre et audacieux que le précédent. Cette fois encore l’opus inclut les 4 titres de l’EP qui l’a précédé, Break your body, à l’instar de l’album Vol. I deux ans après l’album Mad Party : Shaârghot sait nous mettre en appétit avec quelques titres avant de livrer un concept album qui creuse la noirceur de leur univers. Certaines influences se font sentir, l’on peut penser à Prodigy, Punish Yourself, Nine Inch Nails, Marilyn Manson, Ministry ou encore Combichrist à l’écoute de cette musique qui installe une ambiance horrifique et cyberpunk, avec son chant en anglais tantôt susurré tantôt hurlé, sa guitare folle et ses percussions musclées, pour un tout à la fois creepy et diablement festif.

« Miss me » est une intro guerrière et intrigante, qui pose un décor SF post-apocalyptique. Le vrai début en force se fait avec « Black wave », et sa montée en puissance instrumentale parsemée de bruits de machines. Il y a un petit côté « See ya later alligator » de Punish Yourself dans le rythme martelé et les hurlements saturés. L’ambiance synthétique, avec ses résonances de sous-sol, est glauque et malsaine à souhait, et en même temps impossible de rester immobile face à cette mélodie martiale qui emporte tout sur son passage. « Now die ! » cumule rythme saccadé et tribal, percussions sauvages, guitare sensuelle, voix rampante, impertinente et démoniaque qui évoque Trent Reznor ou Marilyn Manson, le tout éveillant une sorte de transe et donnant envie de danser dans une cave moite aux lumières blafardes. « Wake up » est un marasme auditif, et lorsque la batterie, la guitare et la voix s’additionnent le sentiment d’urgence et d’hystérie grandit, notamment grâce au refrain avec sa progression super efficace vers le « Wake up » scandé très mansonien (« Beautiful people », « This is the new shit »). Le malaise est toujours bien présent avec le cinquième titre, « Bang bang », qui débute par un bruit de coup de feu et des sons robotiques, puis des accords qui évoquent Die Form (« Masochist ») ou Nine Inch Nails. Le refrain fonctionne parfaitement avec le chant un peu étouffé sur un air plus aigu, produisant toujours un effet souterrain, ainsi qu’avec les voix un peu éloignées en arrière-plan, donnant l’impression de se déplacer, comme pour encercler l’auditeur. « Doom’s day » renforce cette impression de musique de jeu vidéo évoluant en fonction d’un danger se rapprochant ou s’éloignant : la musique est très cinématique, le rythme est massif, la voix dégoulinante. Les pauses instrumentales sont assez envoûtantes, respirations nécessaires entre les reprises endiablées. « Into the deep » débute comme une musique d’ambiance, propice à l’exploration d’un lieu désaffecté ou d’une zone envahie par des zombies : le parfait interlude avant l’hymne qui dégomme tout et ne fait pas de quartiers…

Et cet hymne, c’est incontestablement le huitième titre, « Break your body », qui donnait le titre et le ton de l’EP de 2017. Le morceau est efficace dès les premières notes : voix principale imposante et chœurs de sbires maléfiques, hurlements ravageurs et tapageurs, une efficacité redoutable qui fait un peu penser à « Gay boys in bondage » de Punish Yourself, cette chanson nous prend aux tripes et ne nous lâche plus. De plus le clip si représentatif du style de Shaârghot est un bijou, à ne pas louper. Cette chanson va donner lieu à des pogos et circle pits monstrueux, et va être reprise jusqu’à l’aphonie par le public en concert, j’en suis sûre. Et quand on croit que c’est fini, la chanson nous rattrape pour nous vider de nos dernières forces : une foutue machine de guerre !
« Regrets » démarre de façon plus calme et atmosphérique, avec ses bruits d’orage, de pluie, de sirènes en fond, qui suggèrent une catastrophe. Le piano est lent, une sorte de décompte se fait : que va-t-il se passer ? Puis l’on repasse à un rythme rapide ; décidément cet album fonctionne bien à écouter d’une traite, pour raconter une histoire. « Z/B » produit une atmosphère très maléfique grâce à son chant étouffé et répété, entêtant, qui psalmodie « Zombie zombie », assorti de rires diaboliques, et d’un air sinistre au piano. Les bruitages entre grouillements d’insectes et connexion de modem Internet vintage produisent un effet électro-organique intéressant. « KMB » se démarque un peu avec ses voix féminines qui contrastent bien avec les cris vraiment puissants, la musique dramatique entre les paroles fait mouche, les passages calmes sont aussi prenants que les retours à la rage, les deux se faisant parfaitement écho. La fin sur le titre répété en boucle par une voix synthétique produit un effet robotique et dépersonnalisé. « Kill your god », avec ses chœurs un peu nasillards, est sans répit, frénétique, et annonce assurément de purs moments d’euphorie en live, tous aux abris ! « Rage » débute, paradoxalement, de façon plus reposante, son rythme est d’abord un peu plus apaisé… Mais par pour longtemps, puisque très vite ce sont les hurlements, les rythmes de battements de chœurs, les nappes de plaintes spectrales et les miaulements de guitare qui reprennent la main. Le quatorzième et dernier titre, « Shadows », avec la reprise en chœur de la profession de foi « We are the shadows », sur un rythme ondoyant créant un suspense, est l’un des plus sensuels de l’album, une pépite à la fois viscérale et écorchée.

On ne sort pas indemne de l’écoute d’un disque de Shaârghot, et The Advent of Shadows, qui est violent et peaufiné, a de quoi mettre une claque, réveiller les morts, inspirer, donner envie de danser jusqu’à épuiser ses dernières forces. Et surtout, c’est un album qui motive terriblement à voir ce que donne le groupe sur scène, en pariant sans prendre trop de risques qu’il doit être monumental.
 
Critique : Elise Diederich
Note : 8/10
Site du groupe : Page Facebook du groupe
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